Allo, Docteur Buzyn ?
Il y a quelques jours — avant le reconfinement — j’ai consulté le docteur Élie Buzyn, survivant d’Auschwitz, à son domicile parisien. On y a évoqué notamment son combat pour la prévention des génocides et des crimes contre l’Humanité.
Le 19 septembre 2019, j’assiste, au mémorial de la Shoah à une conférence sur les génocides du 20e siècle, arménien, juif et tutsie. Après son intervention, j’échange quelques mots avec le docteur Élie Buzyn. Je dois le rappeler dans la foulée pour caler une interview. Le temps passe…
Un an plus tard, le 27 septembre exactement, l’Artsakh est agressé par l’Azerbaïdjan, et la Turquie y dépêche des djihadistes. A l’œuvre, des mécanismes semblables à ceux qui ont conduit au génocide des Arméniens en 1915 — 1,5 million de victimes. Erdogan énonce d’ailleurs clairement son objectif : « Achever le travail des Ottomans de 1915.». Glaçant. Quelques jours plus tard, le 16 octobre, nouvel électrochoc avec l’égorgement de Samuel Paty. Cinq ans après « Charlie », en France, un professeur meurt sauvagement décapité par un djihadiste pour avoir enseigné la liberté d’expression.
Le monde fait la guerre au Covid-19, les djihadistes défient les grandes puissances
Pendant que le monde est occupé à faire la guerre au Covid-19, les djihadistes, eux, défient les grandes puissances. Erdogan se rêve en sultan d’un nouvel empire ottoman. Et jusqu’à présent, le choix du timing joue pour lui : le port du masque rétrécit considérablement le champ de vision des gendarmes du monde, les pétrodollars de Bakou anesthésient observateurs et marchands d’armes, et puis il faut reconnaître que le courage et l’humanité sont devenues des denrées rares — hors des séries Netflix, bien entendu. Les ambitions du « reis » Erdogan font écho pourtant à celles du « führer« du troisième Reich… « Qui se souvient du génocide des Arméniens ? », se demandait Hitler avant d’envahir la Pologne. Tiens, je repense à cette conférence de l’an passé.
Transmettre pour que l’horreur ne se reproduise pas
Prendre rendez-vous avec le docteur ÈEie Buzyn, chirurgien orthopédique, devient alors une urgence. Né à Lodz en Pologne en 1929, il a 11 ans lorsque son frère est abattu par les nazis. Il survit dans le ghetto avant d’être déporté à Auschwitz-Birkenau, puis transféré au camp de Buchenwald où il se fait voler ses chaussures. Ses pieds gèlent. Effrayé par l’annonce d’une double amputation, il s’enfuit de l’infirmerie et s’en remet aux conseils d’un soldat russe : tremper ses pieds alternativement dans de l’eau froide et de l’eau chaude. La guérison suivra. La vocation professionnelle aussi. Au printemps 1945, il fera partie des 426 enfants de Buchenwald accueillis en France.
Durant cinquante ans, il ne parlera pas de son passé. Aujourd’hui, il rattrape le temps perdu via notamment deux ouvrages*. Le 20 octobre (avant le reconfinement), il m’a accordé un entretien à son domicile parisien. On y a évoqué l’actualité et son combat des dernières années : transmettre pour que l’horreur ne se reproduise pas. « Construire son but et continuer, il n’y a pas d’autres solutions. » Merci encore, Monsieur Buzyn pour cette belle leçon d’humanité.
* »J’avais 15 ans, Vivre, survivre, revivre« , 2018, Éd. Alisio. « Ce que je voudrais transmettre, Lettre aux jeunes générations« , 2019, Éd. Alisio.
Pour lire l’interview, c’est ici !